Pour aller plus loin : trois questions au Docteur Jacomet

Trois questions au Dr Jacomet au sujet de la liste des interdictions 2019 et la mise sous surveillance de certains produit, dont la caféine.

Membre du Comité Monégasque Antidopage, le Dr Jacomet a accepté d’approfondir l’analyse de la Liste des interdictions 2019, entrée en vigueur en janvier 2019, qui place sous surveillance de nouveaux produits, comme le Bupropion et qui en remet sous le feu des projecteurs d’anciens bien connus, comme la caféine.

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Médecin biologiste des hôpitaux
Pharmacologue-Toxicologue au CHU de Nice
Chef de service du laboratoire d’addictologie biologique et toxicologie à l’hôpital de l’Archet 2
Responsable de l’Antenne Médicale de Prévention du Dopage (AMPD) en région PACA

Expert près la Cour d’appel d’Aix-en-Provence
Pourquoi la caféine reste dans la liste des produits sur surveillance ? Quels sont ses effets sur l’organisme et dans quelle mesure elle peut être considérée comme un produit dopant ?

La caféine est un stimulant connu depuis des siècles. On sait même avec certitude de nos jours que c’est un stimulant à la fois psychique et physique. Mais, vu son usage extensif par l’homme, il semble impossible de l’interdire totalement dans le sport. D’autant plus qu’il faudrait interdire la consommation de café, de thé et de chocolat qui en contiennent tous les trois.

Les premières interdictions dans le sport ont logiquement porté sur les stimulants et c’est même eux qui alimentent la liste la plus longue des substances interdites. L’AMA précise que « tous les stimulants sont interdits » et que tous les analogues, par la structure chimique ou l’effet biologique, d’une molécule stimulante listée sont également interdits. Donc, il n’y a pas d’autre solution que de garder la caféine sous surveillance puisqu’on ne peut ni l’autoriser ni l’interdire comme le voudrait le Code mondial du sport.

La nicotine fait aussi partie des substances sous surveillance, aux côtés de produits comme le Bupropion, souvent utilisé dans le cadre d’un sevrage du tabac. Que pouvez-vous nous dire sur ces produits, sur leurs liens et sur leur présence dans le programme de surveillance ?

La nicotine :

La nicotine est un stimulant paradoxal. Elle produit instantanément une relaxation (effet parasympathomimétique) mais l’organisme produit en réaction tout aussi instantanément une stimulation adrénergique (sympathomimétique) exactement opposée. Cet effet paradoxal entraîne une puissante addiction chez l’homme qui trouve là deux fois son bonheur.

Chez le sportif, la nicotine peut s’avérer dangereuse car le cœur a besoin de savoir dans quel sens il doit fournir un effort. Ça ne peut pas être à la fois en plus et en moins au risque de provoquer un trouble du rythme cardiaque. Donc, le bénéfice attendu est surtout prévisible avant l’effort physique et pour prévenir le stress d’entrer sur le stade, la piste, les courts, etc.

Comme pour la caféine, vu son usage extensif par l’homme, il semble impossible de l’interdire totalement. Donc, il n’y a pas d’autre solution que de la garder sous surveillance puisqu’on ne peut ni l’autoriser ni l’interdire comme le voudrait le Code mondial du sport.

Le bupropion :

Le sevrage du tabac se fait surtout par substitution directe avec de la nicotine notamment en patch beaucoup plus efficace quoique le succès soit assez limité (20% maximum de réussite à 1 an).

Le bupropion est considéré comme un stimulant parce que sa structure chimique est dérivée de l’amphétamine et que son effet au niveau cellulaire augmente la dopamine et la noradrénaline circulantes. Or, l’AMA a spécifié que toute molécule ayant une parenté structurale ou un effet comparable à une autre molécule stimulante (ici l’amphétamine) devait être interdite. Autrement dit, dans le doute d’un effet dopant clairement démontré, elles sont toutes interdites.

Si les molécules stimulantes avaient toutes les mêmes effets et étaient réellement comparables à l’amphétamine ou à tout autre molécule de référence, il n’y aurait pas autant de molécules disponibles différant entre elles par leur structure ou par leur effet. Donc, ce qui est sanctionnable avec des molécules comme le bupropion c’est la recherche en soi d’un effet dopant, même sans succès démontré. La recherche d’un effet dopant est contraire à l’éthique du sport, l’un des trois items fixés par le Code mondial du sport. Mais, dans le doute d’un effet démontré sur la performance, l’AMA a toutefois choisi pour l’instant de le mettre seulement sous surveillance.

La Liste 2019 n’apporte finalement que peu de changements. Pensez-vous qu’il existe des produits qui auraient mérité d’y figurer ou de figurer dans le programme de surveillance ?

Le rôle de l’AMA est d’interdire toutes les substances : 1- qui ont un effet sur la performance, 2- qui mettent en danger la santé des sportifs ou 3- qui sont contraires à l’éthique sportive. Consécutivement, tous les médicaments et substances susceptibles d’avoir un effet sur l’organisme ont vocation à être interdits. Ce qui est somme toute logique.

La difficulté est ensuite de pouvoir les identifier au laboratoire sans se tromper donc d’éliminer les faux positifs. La recherche d’une sanction juste voudrait aussi qu’on prenne en compte un effet démontré sur la performance et donc sur l’obtention d’une place ou d’un gain injustifié. Quant à l’effet sur la santé, il va de soi que le risque n’est jamais nul d’obtenir un effet indésirable plus ou moins grave à court, moyen ou long terme sur un organisme lancé à pleine vitesse physiologique comme l’exige le haut niveau sportif.

Pour y arriver, il est indispensable de surveiller toutes les substances pour mieux les connaître avant de les inclure dans une liste d’interdictions.

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